Selon les dires de Lucien Kroll, la réalisation de cette école fut l’une de ses expériences les plus prégnantes, notamment du fait de sa rencontre avec la pédagogue Claire Vandercam pour qui l’enseignement à destination d’enfants affectivement troublés nécessitait une réinvention des lieux de la scolarité, à l’écart de la rigidité fonctionnelle. Il s’agissait de leur procurer un lieu de vie privilégiée où ils puissent trouver en eux-mêmes les motivations nécessaires à apprendre spontanément et librement. Penser le bâtiment était donc un acte pédagogique et, dans ce contexte, l’architecture devait sortir de toute attitude pseudo-rationnelle. Ainsi, ce qui n’était orthogonal que par habitude pouvait se jouer obliquement, et seuls les éléments qu’il est indispensable de construire à l’identique, tels que les portes, sont répétés. Mais rien ne justifiait d’en faire de même pour les fenêtres par exemple. Par ailleurs, si toutes les classes et toutes les chambres d’enfants devaient bénéficier de la meilleure orientation, aucune n’est identique à une autre. Les plafonds sous les toits à faible pente participent à une différenciation naturelle de chacun de ces locaux. Dans l’étage d’internat, les chambres, toutes différentes, sont regroupées par trois, organisées autour de trois espaces communs éclairés par le toit. Même le mobilier a fait l’objet d’une réinvention, dans le même esprit. Enfin, la couleur a participé à la différenciation des espaces et du mobilier. Si on replace cette démarche à l’époque des années 1960, elle était révolutionnaire et différente d’autres expériences pédagogiques appliquées à l’architecture, telles que la célèbre école Montessori construite par Herman Hertzberger à Delft peu de temps avant (1960-1966) et qui fit également date en la matière, mais dont la forme de classe idéalisée était répétée à l’identique sans souci d’orientation et exécutée en blocs de béton accentuant l’impression de rationalité. Au contraire, les matériaux ordinaires tels que la brique et le bois mis en œuvre avec un souci évident d’économie de matière (absence de linteau à la rencontre du toit p. ex.) sont ici au service d’une générosité spatiale et pédagogique.
Pierre Van Assche