Construite en partenariat avec René Greisch en tant qu'ingénieur-conseil et le sculpteur Félix Roulin qui travaille sur les développements formels, la maison du frère de l'architecte constitue un fait exceptionnel – un acte de résistance – dans le contexte architectural belge. La radicalité de son expression organique lui confère le statut de sculpture(s) habitable(s).
En plan, elle se présente comme une structure multifocale. Quatre foyers se dégagent au sud (séjour), à l'est (bureau, vestiaire, chambre et salle de bains), à l'ouest (salle à manger et cuisine) et au nord (chambres des enfants et salle de bains). Si le sol et les deux cheminées ont été construits selon des techniques conventionnelles, les murs ont été réalisés avec du béton projeté sur une fine maille d'acier, par un procédé de gunitage utilisé à l'époque pour la réparation des hauts-fourneaux.
L'aspect extérieur est dominé par le jeu libre des voiles de la toiture et des façades qui s'incurvent à la manière de rubans. Les courbes sont fermes et nerveuses. Entre les murs se dégagent les embrasures comblées par des vitres fixées à même le béton au moyen de silicone transparent. Les fonctions d'éclairage et de ventilation ne se recoupent que très peu : seuls pivotent de petits ouvrants dont le châssis est monté sur d'épaisses lames de verre.
Pour assurer l'isolation intérieure, l'architecte a fait revêtir l'ensemble des murs de polyuréthane projeté laissé apparent ; sans aucune contrainte imposée à son expansion, la mousse présente une texture, une couleur et des reliefs uniques. Cette disposition contribue à conférer à l'espace une grande cohérence, encore renforcée par la quasi-absence de portes et d'escaliers : on est conduit d'un niveau à l'autre par des rampes en faible pente. Reconnue à l'international, révélant une attitude proche de Frederick Kiesler (Endless House), d'André Bloc et Jacques Couëlle en France, la maison-sculpture reste la construction majeure de Jacques Gillet qui a préférentiellement consacré sa carrière à l'enseignement à Liège et à la recherche appliquée.
L'influence de la pensée organique de l'architecte américain Bruce Goff – rencontré par Gillet après un voyage en 1963 sur les traces de Frank Lloyd Wright aux États-Unis –, invité en conférence à Liège, est manifeste ; elle trace un sillage dans lequel des architectes locaux s'inscriront (H. Chaumont, É. Furnémont, B. Herbecq).
Pierre Henrion et Thomas Moor
Sources |
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Fonds Jacques Gillet, GAR-Archives d'architecture (ULiège), Liège. |
Geert Bekaert, «Blind architecture criticism» dans OASE Constructing Criticism, n° 81, 2010, p.128-132. |
Wim Cuyvers, «The Cocoon of Love» dans OASE Constructing Criticism, n° 81, 2010, p.122-126. |
Pierre Henrion, «La maison-sculpture d'Angleur» dans Art&fact, n° 12, 1993, p.185-190. |